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Austérité et irresponsabilité aux Etats-Unis
Le Congrès américain s’est finalement prononcé en faveur du relèvement du plafond de la dette du gouvernement fédéral des Etats-Unis, mais après avoir menacé pendant des mois de ne pas le faire et avoir attendu jusqu'au dernier moment. S’il n’avait pas pris cette mesure, le Trésor américain aurait dû, cette semaine, réduire de 40% tous les paiements fédéraux pour éviter de suspendre le paiement d'une partie des 8.300 milliards de dollars de dettes fédérale détenues par des investisseurs et des gouvernements de toute la planète. Le gouvernement américain effectue chaque mois 80 millions de paiements, notamment les chèques aux retraités, les salaires aux fonctionnaires, les soutiens aux revenus des fermiers, etc. Une coupe sombre dans ces paiements ou la cessation de paiement aurait replongé une économie américaine déjà fragile, et peut-être toute l’économie mondiale, dans une profonde récession.
Le relèvement de la dette américaine est en principe une procédure courante, effectuée plus de 40 fois depuis 1982 sans susciter de polémique. Après tout, cela permet tout simplement au gouvernement des Etats-Unis de payer ses factures sur la base des décisions prises par le Congrès en matière d’impôts et de dépenses. Malheureusement le Parti républicain, un des deux principaux partis politiques aux Etats-Unis, a menacé de provoquer l'effondrement de l'économie mondiale pour faire progresser son idéologie d'extrême-droite, en refusant de relever le plafond de la dette si Obama n’acceptait pas sa politique d'austérité économique. Pire encore, de nombreux Républicains de droite continuaient à exiger un amendement à la Constitution américaine imposant un budget équilibré chaque année, en échange du relèvement du plafond. Cette politique rétrograde ne ferait qu’aggraver toute future récession, en rendant des restrictions budgétaires obligatoires alors qu’un plan de relance économique serait nécessaire.
Le mouvement syndical américain a dénoncé cette stratégie antidémocratique pour ce qu’elle est : un chantage politique. Les Républicains, qui contrôlent une seule chambre du Congrès, étaient prêts à risquer une catastrophe pour gagner. Malheureusement, pendant le week-end, l’administration Obama a cédé au chantage politique, en acceptant un train de mesures visant à réduire le déficit de 3.000 milliards de dollars sur 10 ans, pour obtenir un relèvement de la dette de 2 ans. Heureusement le projet ne comprenait pas l’amendement sur un budget équilibré, mais seulement la promesse de tenir un vote sur un tel amendement (qui échouera).
Le projet de réduction du déficit adopté était extrêmement injuste, puisqu'il n'offrait pas de nouvelles recettes fiscales pour contribuer à essuyer le déficit budgétaire provoqué par les allègements fiscaux imprudents et les guerres à l'étranger entreprises sous l’administration du Président George Bush. Bien que le public soutienne largement le « sacrifice partagé », les républicains ont refusé de mettre un terme aux lacunes et aux gaspillages qui existent dans le système d'impôts sur les sociétés ou de demander que les plus riches paient un centime de plus d’impôt dans le cadre de l’accord. Ils ont même refusé de mettre un terme à une règle qui permet aux gestionnaires de fonds spéculatifs de traiter leurs salaires comme gains en capital, leur permettant ainsi de payer moins d'impôts que les nettoyeurs et les secrétaires qui travaillent dans leurs entreprises. Craignant une nouvelle crise financière si le plafond n’était pas relevé, le Président Obama et les Démocrates ont accepté à regret un projet inéquitable qui se limite à couper dans les dépenses et vise les programmes destinés aux pauvres et aux travailleurs.
Cette épouvantable situation constitue une menace sérieuse pour les emplois et les conditions de travail de millions de travailleurs représentés par les affiliés d'UNI aux Etats-Unis. Elle se produit à un moment où la reprise de l’économie américaine est au point mort et où les Républicains ont lancé une attaque en règle contre le mouvement syndical américain. Dans plus de 23 Etats, quelque 800 propositions législatives ont été introduites pour révoquer ou restreindre les droits syndicaux des travailleurs américains, en particulier des travailleurs du secteur public. Les syndicats et une vaste coalition progressiste ont contre-attaqué et ont remporté de nombreuses batailles. Toutefois, dans certains Etats, les droits de négociation des fonctionnaires, plus particulièrement au Wisconsin et dans l’Ohio, ont été anéantis. Mais dans ces deux états, la lutte continue :
· Au Wisconsin, les travailleurs et leurs syndicats ont lancé des élections spéciales pour « révoquer » ou démettre de leur mandat six sénateurs républicains de l’Etat qui ont voté pour priver les professeurs et fonctionnaires de l’Etat de leur droits syndicaux. Les partisans de droite du Gouverneur Scott Walker ont répliqué en appelant à des élections de révocation pour trois démocrates. Au cours de deux prochaines semaines, les électeurs se rendront donc aux urnes dans neuf villes du Wisconsin. Si les syndicats gagnent leur pari, en dépit de la campagne publicitaire financée par une somme énorme provenant de groupes d'intérêts financés par des entreprises, le Sénat du Wisconsin retournera en mains démocrates. Cela empêcherait de nouvelles attaques du gouverneur Walker et préparait le terrain pour sa révocation en janvier prochain.
· Dans l’Ohio, le mouvement syndical a récolté 1,1 million de signatures pour une pétition en vue d’organiser un référendum sur la législation anti-négociation collective adoptée par l’assemblée législative de l’Ohio en début d’année. En vertu de la Constitution de l’Etat, les citoyens peuvent demander un référendum sur la législation qu’ils contestent si un nombre suffisant d’électeurs réclament un vote aux prochaines élections. Les syndicats ont récolté le double des signatures requises pour ce « véto des citoyens » et un vote aura lieu en novembre pour abolir la loi. Une véritable campagne s’est engagée et les sondages indiquent que l’abrogation de la loi passera à deux contre un.
Les syndicats américains sont aussi engagés dans d’autres combats au plan national. Les Républicains refusent d'approuver les candidats désignés par Obama au Conseil national des relations du travail et menacent de supprimer le financement de cet organisme à moins qu’il ne révoque un jugement prononcé contre la société d’aéronautique Boeing pour avoir exercé des représailles contre l’un de ses syndicats ayant appelé à la grève et d’avoir transféré la production à des installations sans syndicat en Caroline du Sud.
La semaine dernière, le Parti républicain a sabré dans le financement de l’Agence fédérale américaine de l'aviation, en l’obligeant à interrompre la plupart de ses activités (à part le contrôle du trafic aérien). Les républicains s’opposaient à une tentative de l’administration Obama de faciliter la syndicalisation des employés des lignes aériennes. L’administration Obama avait révoqué une décision de l’administration Reagan qui comptait à tort les voix des employés n’ayant pas droit de vote comme un « non » lors des élections pour la reconnaissance d’un syndicat. Plutôt que de respecter le principe démocratique selon lequel la majorité des votants doit remporter une élection, l’Agence reste fermée, ce qui a conduit au licenciement de dizaines de milliers de travailleurs travaillant sur des projets de construction d’aéroport. Cela coûte aussi au gouvernement des millions de dollars car les taxes d’aéroport ne sont pas perçues.
En période de chômage généralisé aux Etats-Unis, avec un taux de chômage officiel à 9.2% et un taux non officiel de plus 16%, le programme d'austérité républicain n'a aucun sens. La crise de l'emploi (provoquée par la crise financière mondiale de 2008) a conduit à l’énorme déficit fédéral et non l’inverse. A l’heure qu’il est, les restrictions budgétaires sont contre-productives ; les coupes massives dans les dépenses d’infrastructure et les programmes en faveur des travailleurs vont non seulement augmenter le chômage mais aussi aggraver à long terme la situation financière des Etats-Unis. Les chômeurs ne paient pas d’impôts et ont besoin de programmes de sécurité sociale. Car la perte de près d’un million d’emplois par des fonctionnaires étatiques ou locaux au cours de la dernière année en raison de l’austérité au niveau de l’état a déjà réduit le taux de croissance à moins de 1,5 % cette année, laissant penser que l’économie est déjà retombée en récession.
Ainsi que l’affirment UNI Global Union et le mouvement syndical mondial depuis deux ans, le virage opéré depuis 2010 par le G-20 et l'OCDE vers une austérité fiscale est insensé. Cette politique a complètement échoué en Grande-Bretagne et risque de détruire la zone Euro en s’appliquant à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal. Etant donné que le Japon lutte également pour se remettre de deux décennies de déflation et des récentes catastrophes naturelles, la dernière chose dont l’économie mondiale a besoin en ce moment c’est davantage d’austérité. Les dirigeants de tous les pays ont oublié les leçons des années 30 lorsqu’un durcissement fiscal prématuré a prolongé la Grande Dépression.
Une fois que l’emploi reprendra, toute mesure à long terme pour obtenir un assainissement budgétaire devra être prise de manière équitable. Les banquiers incontrôlables, dont le jeu spéculatif a provoqué la crise financière mondiale, doivent payer leur part pour stimuler la reprise économique. L’augmentation des recettes fiscales doit aussi faire partie de la réponse, pas seulement les coupes dans les dépenses. Un premier pas capital pour parvenir à cette équité et augmenter les recettes serait l’introduction d’une taxe mondiale sur les transactions financières. Cette taxe pourrait financer les investissements publics et la création d’emplois à court terme et la réduction du déficit à long terme, tout en décourageant un retour au capitalisme de casino si destructeur.
UNI demande au gouvernement américain et à tous les autres gouvernements de se concentrer sur le danger le plus immédiat, à savoir la crise de l’emploi. Nous avons besoin d’investissements publics massifs et de programmes de création d’emplois maintenant. La croissance économique et l’augmentation de salaires garantie aux travailleurs par les droits de négociation collective sont la solution pour restaurer l’équilibre des finances gouvernementales et non pas l’austérité irresponsable.