UNI World Athletes : la nouvelle association mondiale de joueurs pour le sport professionnel
Par Brendan Schwab, chef d’UNI World Athletes.
L’article ci-dessous est paru initialement dans Law In Sports
Le 5 décembre 2014, les dirigeants des plus influentes associations de joueurs au monde se sont réunis au Cap, en Afrique du Sud, pour conclure formellement trois années de discussions coopératives et créer UNI World Athletes, l’association mondiale exclusive des joueurs et des athlètes syndiqués du sport professionnel.
Cette réunion avait lieu dans le cadre du congrès quadriennal d’UNI Global Union (« UNI »),[1] l’organisation syndicale basée en Suisse qui représente plus de 20 millions de travailleurs de plus de 900 syndicats dans les secteurs à forte croissance des compétences et des services, qui incluent les médias et le sport. DeMaurice Smith, Directeur exécutif de la National Football League Players Association (« NFLPA ») aux Etats-Unis, a pris la parole devant les 2.000 délégués du Congrès pour inciter les affiliés d’UNI à aider les athlètes à reconquérir l’esprit sportif : « Nos athlètes, et les hommes et les femmes qui leur fournissent des services, méritent d’être plus que de simples sous-produits d’une entreprise commerciale ! Nous devons être une voix morale qui s’élève dans le désert, en vue de récupérer ce qui nous appartenait jadis. Nous devons reconquérir la beauté et l’humanité du sport. Il ne peut pas y avoir de beauté dans le sport dès lors que le principal gagnant est l’avidité. Nous devons passer à un monde où l’intégrité du sport ne tolère pas que les travailleurs migrants meurent en construisant des stades au Qatar. » [2]
Smith fait partie des dix dirigeants syndicaux de joueurs qui ont été élus au premier Comité exécutif d’UNI World Athletes, avec le Président fondateur élu, Donald Fehr, Directeur exécutif de la National Hockey League Players Association (« NHLPA ») qui a longtemps été Directeur exécutif de la Major League Baseball Players Association (« MLBPA »). Ils sont entrés en fonctions pour veiller à ce que, pour la première fois, la voix des athlètes se fasse clairement entendre dans la gouvernance, la conduite et la pratique du sport.
Le présent article donne un aperçu de l’initiative entreprise par les représentants collectifs des athlètes professionnels d’élite du monde entier pour mondialiser leur mouvement à une époque où les carrières, le commerce et la politique du sport sont réellement globalisés. Il explique également la création d’UNI World Athletes dans le contexte des défis historiques et contemporains posés à la mise en place d’une voix collective indépendante pour les athlètes professionnels. Ils se conclut en évoquant la mission et les premières priorités de l’organisation ainsi que la manière dont le poids collectif des syndicats et des sportifs qu’ils représentent peut être mis à profit pour le bien à la fois de ces athlètes et du sport en général.
Modalités et raisons de la création d’UNI World Athletes
UNI World Athletes est un collectif mondial de 85.000 athlètes d’élite professionnels, organisés principalement par le biais de grandes associations de joueurs parmi lesquelles la FIFPro (Fédération internationale des associations de footballeurs), la Fédération des associations internationales de joueurs de cricket (« FICA »), l’Association internationale des joueurs de rugby (« IRPA »), l’Association européenne des athlètes d’élite (« EU Athletes »), la NFLPA, la NHLPA, la National Basketball Players’ Association (« NBPA »), l’Association japonaise des joueurs professionnels de baseball (« JPBPA ») et l’Australian Athletes’ Alliance (« AAA »).
Le développement et l’émergence d’UNI World Athletes arrivent à une période critique pour le sport car, à l’instar de la société qu’il reflète, celui-ci traverse une période de changements fondamentaux. Au moins cinq forces profondes dominent actuellement le sport professionnel et rôle joué en son sein par les athlètes professionnels :
(1) la gouvernance du sport connaît une crise de confiance sans précédent ;
(2) la commercialisation débridée et la politisation du sport suscitent des inquiétudes croissantes ;
(3) les menaces planant sur l’intégrité du sport ne cessent de s’intensifier, surtout par le biais d’une gouvernance corrompue, de l’implication du crime organisé dans la manipulation des matches, de l’inefficacité des régimes anti-dopage et de la réapparition du racisme ainsi que de l’incapacité à éradiquer d’autres comportements discriminatoires ;
(4) il règne un état d’esprit pessimiste selon lequel le sport fait fausse route et ne sert plus le bien commun ou ne défend plus les valeurs qui font toute l’importance de cette institution sociale et culturelle. L’absence de respect pour les droits de l’Homme dans les soi-disant méga-manifestations sportives et autour d’elles donne notamment à penser que sa fonction de modèle institutionnel a été oubliée ; et
(5) le grand public comprend de plus en plus que les athlètes sans lesquels le sport même serait impossible sont soumis à des risques, des demandes et des dangers inacceptables pour leur santé physique et mentale ainsi que pour leur bien-être social.
L’ampleur des défis qui se posent aujourd’hui au sport appelle une réponse forte, indépendante, professionnelle et assortie de ressources suffisantes au nom des principales parties prenantes du sport, les athlètes.
En conséquence, UNI World Athletes réunit une large gamme de syndicats de sportifs actifs aux niveaux national, international et continental. Par nécessité, mais aussi par choix délibéré, cette organisation a adopté une structure de gouvernance solide, démocratique et responsable. Créée en tant que secteur autonome d’UNI, UNI World Athletes est une fédération internationale d’associations indépendantes de joueurs et de sportifs.[3]
La FIFPro, la FICA et l’IRPA sont les principaux organismes mondiaux des associations nationales de joueurs respectivement de football, de cricket et de rugby. EU Athletes est le principal organe régional des associations regroupant des sports aussi divers que le handball, le basketball, le volley-ball, le cyclisme, le ski et les sports gaéliques dont les membres se recoupent également avec le football, le rugby et le cricket. Des syndicats nationaux forts sont également impliqués lorsqu’il n’existe pas d’association mondiale ou régionale. Cela permet aux principaux organismes nationaux tels que l’AAA, qui représente huit syndicats de joueurs australiens notamment de football australien, de netball, de rugby à XIII et de course hippique (jockeys), et au Syndicat israélien des employés de bureau, administratifs et des services publics, qui couvre les joueurs professionnels de football et de basketball, d’en faire partie.[4] De puissants syndicats nationaux et propres à des sports spécifiques tels que la NFLPA, la NHLPA, la NBPA et la JPBPA se sont affiliés directement à UNI World Athletes car ils ne sont pas membres d’une association professionnelle internationale, régionale ou nationale. Pris ensemble, plus de 100 associations de joueurs et de sportifs sont rassemblées au sein d’UNI World Athletes, présente dans plus de 60 pays et sur tous les continents.
Parmi les dix membres du Comité exécutif d’UNI World Athletes figurent des représentants de l’Europe, des Amériques, de l’Afrique et de l’Asie/Océanie. Avec MM. Fehr et Smith, cette composition est complétée par :
- Theo van Seggelen (Pays-Bas), Secrétaire général de la FIFPro (Premier vice-président) ;
- Jeff Reymond (France), Secrétaire général d’EU Athletes (Vice-président) ;
- Tony Irish (Afrique du Sud), Président exécutif de la FICA ;
- Paul Marsh (Australie), Chief Executive Officer de l’Australian Football League Players’ Association et membre du Conseil de l’AAA ;
- Toru Matsubara (Japon), Directeur exécutif de la JPBPA ;
- Rob Nichol (Nouvelle-Zélande), Directeur exécutif de l’IRPA ;
- Dejan Stefanovic (Slovénie), membre du Conseil de la FIFPro ; et
- Frederique Winia (Pays-Bas), Directrice des relations internationales de la FIFPro.
La voix des sportifs
Scott Fujita, ancien linebacker de la National Football League et également ancien membre du Comité exécutif de la NFLPA, a parlé éloquemment de l’importance que la voix du sportif se fasse entendre pour le bien de ses collègues professionnels, de son sport et même de la société dans son ensemble. Sur la question de la légalisation du mariage homosexuel qui était à l’étude devant la Cour suprême des Etats-Unis, il a écrit en mars 2013 :
« Mes trois jeunes filles, comme la plupart des enfants, sont curieuses et posent toutes sortes de questions. Ma femme et moi sommes essayons d’y répondre aussi franchement et honnêtement que possible. Mais il y a une question à laquelle je ne suis pas disposé à répondre: « Pourquoi Clare et Lesa ne sont-elles pas mariées? » Je ne sais pas comment leur expliquer ce que signifie « inférieur » ou pourquoi leur pays traite nos amies de cette manière.
…Parfois, les gens me demandent quel rapport cela peut avoir avec le football. Certains pensent que les footballeurs tels que moi devraient simplement la fermer et se concentrer sur le jeu. Mais nous sommes des individus avant tout, et notre qualité de footballeurs n’arrive que loin derrière. Le football constitue une partie importante de notre vie, mais une très petite partie de notre personnalité. Et sur le plan historique, des sportifs éminents tels que Jackie Robinson, Billie Jean King ou Muhammad Ali ont été de puissants agents du changement social. C’est pourquoi les positions prises par les athlètes, y compris la manière dont ils traitent les autres et les mots qu’ils utilisent, peuvent influencer de nombreuses personnes, en particulier les enfants. » [5]
La récente Coupe du monde féminine 2015 de la FIFA au Canada a fait apparaître un certain nombre de problèmes fondamentaux qui auraient été évités si la voix des athlètes avait été écoutée. Des sportives professionnelles de classe mondiale ont joué sur des terrains artificiels, sous une chaleur de plomb, sans accès à des protocoles de commotion satisfaisant. De surcroît, parce que c’étaient des femmes, elles ont joué pour une fraction des prix mis à disposition à peine un an auparavant pour les équipes masculines lors de la Coupe du monde masculine de 2014 de la FIFA au Brésil, puisque les équipes féminines se sont disputé un total de prix combiné de 15 millions de dollars US contre 576 millions de dollars US pour les équipes masculines et leurs clubs.[6] Ce sport basé sur des valeurs universelles avait choisi de présenter certains de ses matches les plus importants dans des conditions inférieures tout en pratiquant une discrimination sexiste. Même au Brésil, le total des prix ne représentait qu’une fraction des milliards générés par les équipes nationales et leurs joueurs pour la FIFA, l’instance dirigeante, alors que la part des joueurs était vraisemblablement inférieure à 3%.
Au Canada, les sportives ont réagi de deux manières, ce qui en dit long sur l’avenir immédiat du sport. Tout d’abord, malgré les conditions et la manière dont elles étaient traitées, elles ont réalisé des performances incroyables sur le terrain et elles se sont conduites en ambassadrices en dehors du terrain. Ensuite, elles se sont syndiquées. La veille de la finale de la Coupe du monde féminine de la FIFA de 2015, la FIFPro a annoncé, en liaison avec les champions et les championnes professionnels, tels que Verónica Boquete (Espagne, Bayern de Munich), Karina LeBlanc (Canada), Lydia Williams (Australie) et Sone Aluko (Nigeria, Hull City), qu’elle allait représenter les footballeuses professionnelles à l’échelle mondiale pour « marquer le début d’une nouvelle ère d’égalité entre les sexes dans le football mondial » et réaliser « une mobilisation mondiale et une campagne de sensibilisation pour garantir les droits fondamentaux des joueuses. » [7]
Si l’on veut prendre pour exemple des footballeuses d’aujourd’hui des champions de la stature de Robinson, King et Ali cités par Fujita, force est de reconnaître qu’ils se sont heurtés à des résistances à leur époque. Mais si elles l’emportent, leur héritage pour les générations sportives futures, pour leur sport et même pour la société sera immense.
Le front « monolithique » mondial du sport
La création d’UNI World Athletes est la conséquence logique de l’effort soutenu des athlètes pour se syndiquer aux niveaux national, régional et mondial. La Professional Footballers’ Association of England (« PFA ») est la plus ancienne organisation de sportifs au monde, puisqu’elle a été fondée en 1907, mais la première tentative réussie pour garantir que les joueurs bénéficient des mêmes droits que tous les travailleurs a été lancée il y a environ 50 ans. En fait, le 15 décembre 2015 marquera la célébration des 50 ans de la FIFPro. Deux ans avant que les fondateurs de la FIFPro venant d’Angleterre, d’Ecosse, d’Espagne, des Pays-Bas, d’Italie et de France ne créent la FIFPro à Paris, la PFA, dirigée par son Secrétaire Cliff Lloyd et son Président Jimmy Hill, avait remporté deux batailles historiques: (1) l’abolition du salaire maximal anglais dans le football – fixé à l’époque à £20 par semaine – à l’issue d’une forte campagne menée par les joueurs qui avaient menacé de faire grève selon le droit anglais du travail; et (2) l’abolition du système anglais de retenue dans le football anglais – similaire à la clause de réserve dans le baseball américain – grâce à une action engagée, avec le soutien de la PFA, au titre de la liberté professionnelle, par l’international anglais George Eastham, qui avait cherché à être transféré de Newcastle United à Arsenal après l’expiration de son contrat de travail.
Aujourd’hui, toutes les associations de joueurs et de sportifs continuent à lutter pour ces doubles défis : la régulation économique directe exercée sur le droit de leurs membres à obtenir des revenus et une part de la richesse qu’ils créent, et la régulation directe du marché du travail, y compris même lorsque les membres sont sans emploi après que leurs contrats ont expiré.[8]
Le jugement du juge Wilberforce dans l’affaire Eastham brosse également un portrait navrant du système que Eastham et la PFA cherchaient à contester. Il déclara que le système de retenue était:
« …un système d’employeurs, mis en place dans un secteur où les employeurs ont réussi à établir un front monolithique dans le monde entier, et où il est clair qu’aux fins de la négociation, les employeurs bénéficient d’une organisation considérablement plus forte que les employés. Il ne fait pas de doute que les employeurs de par le monde entier considèrent que ce système est bon, mais cela n’empêche pas le tribunal de se demander s’il ne va pas plus loin que cela est raisonnablement nécessaire pour protéger leurs intérêts légitimes. » [9]
Un an à peine après la création de la FIFPro, la Major League Baseball Players Association a nommé comme Directeur exécutif l’économiste Marvin Miller. Miller, qui avait travaillé avec United Steelworkers of America, a convaincu les joueurs initialement sceptiques du pouvoir qu’ils pouvaient exercer grâce à la solidarité et à la négociation collective. En cherchant à ancrer dans le sport les principales méthodes des relations de travail y compris l’application du droit de la concurrence, les négociations collectives, l’arbitrage en cas de litiges et le droit de grève, la MLBPA a non seulement fait considérablement progresser les joueurs de baseball professionnels, mais a aussi ouvert une ère nouvelle de croissance des revenus et de sens des affaires dans le MLB et ses équipes.
En 1995, avec le soutien de la FIFPro, Jean Marc Bosman a remporté une victoire juridique sur le système de transfert et d’indemnisation de la formation dans le football en obtenant la déclaration claire et nette que les footballeurs professionnels, comme tous les travailleurs de l’Union européenne, ont le droit de circuler librement dans l’Union. De l’avis de l’avocat général Lenz, le droit d’un club à réclamer une indemnisation financière pour la perte des services d’un joueur : « …présuppose précisément qu’un joueur puisse être considéré comme une sorte de marchandise qui se paye un certain prix. Une telle attitude peut correspondre à la réalité d’aujourd’hui, telle que caractérisée par les règles de transfert, où l’on parle effectivement d’’achat’ et de ‘vente’ de joueurs. Cette réalité ne doit pas nous leurrer : il s’agit bel et bien d’une attitude sans base juridique et incompatible avec le droit à la libre circulation ... De même, je doute fort qu’un système qui équivaut en fin de compte à traiter les joueurs comme des marchandises soit de nature à promouvoir l’éthique du sport… » [10]
Par le biais de deux négociations et procédures en justice, l’une en 2001 et l’autre en 2006, la FIFPro a négocié les conséquences juridiques et sportives de l’arrêt Bosman, ce qui a abouti à un accord mondial signé en novembre 2006 qui a permis à la FIFPro d’être formellement reconnue comme l’organe mondial exclusif représentant les footballeurs professionnels dans le monde, et de faire accepter dans le football professionnel les principes fondamentaux du droit du travail international tels que la liberté de circulation, les conditions d’emploi minimales contraignantes et l’arbitrage en cas de litiges.[11]
De l’autre côté de l’Atlantique, le Major League Baseball continue à bénéficier, avec ses joueurs, de deux décennies de paix du travail, d’un meilleur produit sur le terrain et de records au niveau des salaires, des recettes et des bénéfices.[12]
Ces procédures ont eu leurs difficultés, mais les avantages qui en découlent désormais pour le sport et ses parties prenantes sont immenses. D’ailleurs, elles ne se limitent pas au football et au baseball, mais sont désormais des enseignements d’application générale. Selon les termes de Jeffrey Kessler, grand avocat américain qui a une vaste expérience dans la représentation de la NFLPA et de la NBPA:
« Ce que l’histoire nous enseigne, c’est qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre l’existence d’un système équitable pour les joueurs et l’existence d’un sport sain. Tout au contraire. Ce que nous constatons, c’est que lorsque le sport donne aux joueurs plus de liberté et les rémunère mieux, tout le sport enregistre une croissance sur le plan des recettes. Il est bien plus facile aux joueurs et aux clubs de travailler ensemble à développer le sport dans un système équitable que dans un système qui ne l’est pas. » [13]
Les résultats obtenus par les joueurs syndiqués ces 50 dernières années ont contribué à inspirer une myriade d’efforts de syndicalisation parmi les joueurs et les athlètes dans pratiquement toutes les régions du monde où le sport professionnel se pratique. Bon nombre de ces efforts sont désormais chapeautés par UNI World Athletes. Soutenus par eux, les athlètes d’aujourd’hui peuvent désormais avoir l’assurance que leurs négociations en vue d’une plus grande liberté feront non seulement progresser leurs propres droits, mais aussi la prospérité de leur sport. Comme le relève Brahman Dabscheck, universitaire des relations industrielles, dans son analyse bibliographique:
« Cairns, Jennett et Sloane, dans une étude de l’économie dans le sport d’équipe professionnel, ont déclaré : ‘A peu près personne ne conteste le fait que les contrôles du marché du travail n’ont pas abouti à l’égalité des performances.’ Les avantages des contrôles du marché du travail sont négligeables ou illusoires et sont loin de justifier que l’on refuse les droits de l’Homme aux joueurs. De plus, il existe des méthodes alternatives, cohérentes avec la liberté de l’emploi et/ou les instruments des droits de l’Homme, permettant d’obtenir l’égalité sportive, à savoir le partage de recettes ou la redistribution des bénéfices entre les clubs. » [14]
Néanmoins, malgré la grande contribution apportée par les joueurs et athlètes syndiqués à leurs sports, le front monolithique si éloquemment décrit par le juge Wilberforce en 1963 est aujourd’hui, pourrait-on dire, aussi fort que jamais. Il est susceptible de s’étendre encore sous l’effet d’instruments internationaux tels que la déclaration d’octobre 2014 des Nations Unies concernant l’autonomie du sport, qui a été adoptée malgré de vives craintes de corruption et de mauvaise gouvernance dans les instances sportives internationales et sans tenir compte de la voix des athlètes.[15] Les syndicats d’athlètes continuent à condamner l’inefficacité et l’iniquité du Code mondial anti-dopage imposé internationalement et unilatéralement,[16] ainsi que l’absence de choix, l’inégalité de procédure et les jugements systématiquement critiquables du Tribunal arbitral du sport (« TAS »)l, et ont rassemblés dans une cause juridique commune un patineur de vitesse allemand et les footballeurs professionnels mondiaux.[17]
Les athlètes de la NFL, du rugby, du rugby à XIII, du football et du football australien aspirent tous à des mesures essentielles de santé et de sécurité, y compris la reconnaissance du fait fondamental qu’une commotion sur le terrain n’est pas un incident sportif, mais une blessure sur le lieu de travail qui nécessite un examen immédiat par un médecin indépendant.[18] Les risques liés au travail des athlètes professionnels ont récemment été mis en exergue par un certain nombre de tragédies dans le cricket. Selon Tony Irish, Président exécutif de la FICA:
« Les récents décès tragiques des joueurs de cricket professionnels Phillip Hughes et Ankit Keshri, tous deux sur le terrain, ont uni à deux reprises le monde du cricket dans le deuil. La perte de ces deux jeunes talents nous a cruellement rappelé que la pratique du sport de compétition à tout niveau ne va pas sans risques. Par ailleurs, les blessures récentes subies sur le terrain par Mark Boucher et Craig Kieswetter qui ont abouti à la fin de leur carrière, le décès de Richie Benaud d’un cancer de la peau (directement lié à l’absence d’écran solaire et casque de protection approprié tout au long de sa carrière) et la décision du Zimbabwe de participer à un circuit au Pakistan malgré des mises en garde de sécurité de haut niveau, servent à rappeler à tout le monde dans le cricket que la santé, la sécurité et la sûreté de ses joueurs et des participants est l’un des problèmes les plus importants auxquels les administrateurs des matches doivent se consacrer. » [19]
De fait, les limitations économiques et du travail qui font l’objet de nombreuses contestations juridiques de la part des athlètes sont désormais rejointes par les réglementations obligatoires prescrites par le « front monolithique », qui couvrent pratiquement tous les aspects de la vie de l’athlète et s’imposent souvent à lui 24 heures sur 24 : discipline, règlement des litiges, intégrité, santé et sécurité, marketing, contrôle des droits de la propriété intellectuelle et même la manière dont les athlètes doivent être représentés collectivement et entendus dans le sport. Nick Symmonds, coureur du 800m américain, a récemment été tenu de se retirer des Championnats du monde 2015 de l’IAAF à Beijing parce qu’il ne pouvait pas accepter les conditions commerciales imposées par USA Track and Field. Son choix résume celui rencontré par un trop grand nombre d’athlètes dans le sport d’aujourd’hui : accepter les conditions imposées ou perdre le droit de travailler.[20] La seule manière raisonnable de trancher un tel choix passe par la syndicalisation des athlètes et les négociations collectives conformément aux normes internationales du travail. Son article sur Twitter disait qu’il était « fier d’avoir tenu bon et mené une bataille de plus pour les droits des athlètes », ce qui suggère qu’il est non seulement conscient du coût personnel de sa position, mais de son impact historique et de sa pertinence collective.[21] C’est une position qu’aucun athlète ne devrait avoir à prendre.
La « Déclaration de Nyon » de 2011
L’effort visant à créer UNI World Athletes a formellement commencé par la tenue historique du sommet des athlètes à Nyon, Suisse, en novembre 2011, qui rassemblait les associations mondiales, régionales et nationales de joueurs et de sportifs qui sont désormais membres de cette instance. Coordonnée avec brio au nom d’UNI Global Union par la personne qui en était à l’époque le chef du sport, l’ancien joueur de basketball professionnel Walter Palmer, ce sommet s’est conclu sur la déclaration suivante :
« Nous, les représentants indépendants et démocratiquement élus (de milliers) d’athlètes de haut niveau du monde entier, établissons ce jour une fédération d’associations mondiales de joueurs.
Nous prenons cette décision en nous appuyant sur certains principes fondamentaux afin de faire face à une crise de gouvernance dans les organisations sportives mondiales qui ont cessé de mettre l’athlète au centre du sport. Le sport n’existe pas sans les sportifs.
Le rôle du sport dans la société est profond ; le sport ne peut donc pas être au-dessus des lois, et se doit de respecter les principes de la bonne gouvernance.
Nous déclarons que les organisations sportives mondiales ainsi que les gouvernements doivent respecter le droit national et international ainsi que les droits fondamentaux des athlètes en tant que citoyens et que travailleurs, y compris le droit de s’organiser collectivement au sein d’associations et de syndicats de joueurs.
Les sportifs et leurs représentants collectifs doivent jouer pleinement leur rôle de parties prenantes dans toutes les enceintes décisionnelles et autres structures qui les concernent.
Nous défendons l’égalité de traitement de tous les athlètes, quels que soient leur origine ethnique, leur religion, leur sexe ou leur orientation sexuelle.
Pour que le sport prospère, il doit être propre, équitable, transparent, et tenir compte de la nature unique de la carrière des athlètes.
Nous défendons ce mandat dans l’intérêt du sport et des sportifs qui le pratiquent. » [22]
La déclaration de Nyon, qui est une résolution adoptée par les associations de joueurs et de sportifs représentées au sommet, s’appuie sur les 50 années de lutte qui, à bien des égards, ont commencé avec George Eastham, Cliff Lloyd et la PFA anglaise en 1963. Une grande leçon à tirer de cette lutte est liée aux progrès réalisés par les athlètes et par leurs sports lorsque les associations de joueurs ont conditionné les conditions de travail des athlètes aux règles de droit, y compris le droit du travail et le droit de la concurrence. C’est pourquoi la déclaration de Nyon renvoie, par exemple, aux droits humains fondamentaux des athlètes, y compris le droit de s’organiser et de négocier collectivement, tel que consigné à l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 [23] et dans les Conventions 87 et 98 de l’Organisation internationale du travail (« OIT »).[24]
La reconnaissance et le respect du droit de s’organiser et de négocier collectivement impliquent une obligation de la part des employeurs et de leurs représentants de ne pas s’ingérer dans la poursuite et l’exercice indépendants de ce droit. L’article 2 de la Convention de 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective (n°98) de l’OIT stipule :
« 1. Les organisations de travailleurs et d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des unes à l’égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur formation, leur fonctionnement ou leur administration.
2. Sont notamment assimilées à des actes d’ingérence au sens du présent article des mesures tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle d’un employeur ou d’une organisation d’employeurs. »[25]
L’Australian Athletes’ Alliance figure parmi les premiers affiliés d’UNI World Athletes à avoir formulé les droits des athlètes en référence au droit international, en adoptant en 2014 une Charte des droits des athlètes en 15 points et en annonçant qu’elle prendrait cette Charte comme référence pour la régulation des 3.500 athlètes couverts par l’AAA. Les droits fondamentaux exprimés dans la Charte incluent la liberté syndicale, la liberté de choix de l’emploi et le droit de profiter équitablement de l’activité économique du sport. L’annonce de l’AAA impliquait les champions des divers sports couverts par ses syndicats affiliés.[26] Son initiative est une source d’inspiration pour UNI World Athletes dans le monde entier.
Les instances dirigeantes internationales du sport vont manifestement avoir du mal à souscrire aux droits fondamentaux des athlètes au niveau mondial. Le Comité Olympique International (« CIO ») et l’Agence mondiale anti-dopage (« AMA »), par exemple, dialoguent officiellement avec les athlètes par le biais de commissions des athlètes organisées sous les auspices de leurs organisations respectives. Les avis exprimés par les athlètes membres de ces commissions sont parfois en conflit avec les avis des syndicats d’athlètes, comme l’a montré l’examen du Code de l’AMA en 2014.[27] Comme l’illustre l’expérience du Major League Baseball, ce sont les négociations collectives qui établiront un régime anti-dopage meilleur et plus efficace. Comme le disait feu Michael Weiner, ancien Directeur exécutif de la MLBPA :
« Les joueurs sont déterminés à faire tout ce qu’ils peuvent pour améliorer constamment l’accord conjoint sur la drogue. Les joueurs veulent un programme qui soit rigoureux, scientifiquement précis, soutenu par les dernières méthodes scientifiques établies, et équitable ; je pense que ces changements soutiennent fermement le désir des joueurs tout en protégeant leurs droits juridiques. »[28]
John Coates, Vice-président australien du CIO, qui président à la fois le TAS et le Conseil international de l’arbitrage en matière de sport, organisme responsable du financement et de l’administration du TAS,[29] n’a pas tardé à impliquer les commissions des athlètes dans certains changements mineurs apportés au TAS en réponse à l’affaire Claudia Pechstein.[30] Cela est clairement problématique. Ainsi, la Charte de la commission des athlètes du Comité olympique australien (« AOC ») stipule que le rôle de la commission est de « conseiller » l’exécutif de l’AOC et oblige chaque membre de la commission à ne pas agir dans l’intérêt des athlètes ni même du sport, mais « uniquement dans l’intérêt de la commission (à savoir de l’AOC) et de ses membres dans leur ensemble » (accent ajouté).[31]
Mission d’UNI World Athletes
La mission d’UNI World Athletes est de promouvoir les bonnes pratiques dans la représentation collective des athlètes professionnels, de faire progresser les dossiers d’intérêt commun pour ces athlètes et leurs syndicats, et d’encourager les sportifs à se syndiquer. Au cœur de cet objectif se trouve un attachement clair à veiller à ce que l’essence et l’intégrité du sport soient défendues et à ce que son rôle social et culturel dans la société soit préservé.
Au Cap, l’Assemblée mondiale d’UNI World Athletes a résolu de poursuivre six domaines politiques clés à titre prioritaire.[32] Il s’agit des domaines suivants:
(1) faire progresser la bonne gouvernance du sport renforcée par la reconnaissance du rôle et des droits des athlètes professionnels et l’application du droit international ;
(2) promouvoir la santé et la sécurité des athlètes professionnels, y compris leur santé mentale, leur santé physique et leur bien-être social ;
(3) défendre l’intégrité du sport, en particulier par des mesures anti-dopage efficaces et en autonomisant les athlètes pour qu’ils aident à lutter contre les menaces externes qui planent sur l’intégrité du sport, telles que la gouvernance corrompue, la manipulation des matches, le racisme et la discrimination ;
(4) protéger les droits à l’image et la sphère privée des athlètes, surtout en période d’apparition constante de nouvelles technologies et de prolifération de systèmes régulés et non régulés de paris sportifs en ligne ;
(5) encourager le développement et la prospérité des athlètes en tant qu’individus, en reconnaissant la brièveté et la précarité des carrières professionnelles ; et
(6) encourager la syndicalisation des athlètes dans le monde entier, pour veiller à ce qu’ils soient étroitement impliqués dans les décisions sportives. De fait, une caractéristique du travail des meilleures associations mondiales de joueurs et d’athlètes est la profonde implication des joueurs et des sportifs eux-mêmes dans leurs syndicats, y compris la participation directe à des sessions de négociations.[33] Ce modèle doit être étendu davantage, surtout en impliquant les sportives professionnelles et en constituant des associations de joueurs dans les régions les plus difficiles du monde, y compris en Asie.
UNI World Athletes existe pour veiller à ce qu’au niveau mondial, les défis posés au bien-être du sport professionnel soient relevés par des négociations collectives sous-tendues par l’application de normes du travail internationalement reconnues. Si l’histoire montre que les instances sportives sont réticentes à adhérer à ces normes, la longue contribution apportée par les athlètes syndiqués et la primauté du droit ont été fondamentales pour garantir la croissance durable et la bonne gouvernance des principaux sports professionnels du monde.
Dans la même veine, la croissance économique durable au sein d’une société mondialisée ne peut être obtenue qu’en s’appuyant sur un programme acceptant les principes universels des droits de l’Homme et l’autorité du droit international.
La syndicalisation des athlètes du monde devient la force la plus importante permettant de responsabiliser la gouvernance du sport, de maximiser sa croissance économique responsable, de défendre ses normes, d’équilibrer équitablement les intérêts de ses parties prenantes et de rétablir l’essence du sport.
Voici enfin l’occasion pour le sport de progresser en partenariat avec ceux qui le pratiquent.