Jennings à l’ONU: Prosegur, Walmart et T-Mobile ne tiennent pas leurs promesses concernant le travail décent
Cette semaine, lors d’une réunion de haut niveau de l’ONU à New York, Philip Jennings, Secrétaire général d’UNI Global Union, a dénoncé Prosegur, Walmart et T-Mobile comme étant des exemples d’entreprises dont l’attitude a priori hostile envers les syndicats est en train de détruire la notion même de travail décent. Jennings, qui parlait en présence du ministre du Travail de Colombie, Luis Eduardo Garzon, a demandé à Prosegur de donner l’exemple en Colombie plutôt que d’exploiter les travailleurs et d’adopter une position anti-syndicale.
Après que Jennings a pris la parole à propos des actions de Prosegur en Colombie, le ministre du Travail de Colombie a conclu en disant : « Que veut dire la responsabilité sociale des entreprises? Je pense que ce concept doit être mis à jour. Créer une fondation, une ONG, c’est envoyer un message d’assistanat. Prendre une photo avec des enfants pauvres et s’impliquer dans une campagne, c’est cela [ce que l’on entend par responsabilité sociale des entreprises]? Et je ne veux pas dire du mal [des fondations et des ONG]. Mais il est évident que la responsabilité sociale des entreprises commence par le désir de respecter les droits. Il faut respecter les règles du jeu et la loi, et il me semble que si l’on ne permet pas aux organisations sociales de travailler ou si on stigmatise les organisations sociales ou syndicales, on ne fait pas preuve de responsabilité sociale. » (voir cette remarque à 1 h 3 minutes sur la vidéo)
Jennings et le ministre du Travail de Colombie étaient orateurs invités à la session de l’EcoSoc intitulée « Faire de la dignité et de la prospérité la norme », organisée aux Nations Unies, où le Directeur général du BIT Guy Ryder était l’orateur principal.
(Suivre ici l’intégralité de la réunion, le discours de Philip Jennings commence à 27 minutes 35 secondes)
Guy Ryder s’est concentré sur la nécessité d’un nouveau contrat social mondial où le système multilatéral des Nations Unies serait en contact avec la vie et les préoccupations des gens. Ryder a déclaré que le travail décent arrivait tout juste après la santé et l’éducation dans un récent sondage sur les préoccupations des individus. Ryder a conclu : « Il est essentiel de faire de la dignité et de la prospérité la norme pour un tel contrat social mondial favorisant le développement durable et ce qui cimente cette politique, c’est assurément le travail décent. »
Voir ci-dessous la transcription du discours de Philip Jennings :
Discours de Philip Jennings à l’ECOSOC de l’ONU, le 31 mars 2015
« La syndicalisation des travailleurs du secteur privé est une bataille »
« Il n’y a rien de philosophique à propos de la syndicalisation des travailleurs dans le secteur privé, c’est une bataille. Nous ne pouvons pas faire de la dignité et de la prospérité des travailleurs la norme sans un mouvement syndical fort.
Je vous apporte le message du front, pour vous dire à quel point il est difficile de syndicaliser des travailleurs dans l’environnement actuel : nous affrontons des vents contraires et nous rencontrons des obstacles majeurs.
« Les Etats-Unis sont le pire pays en ce qui concerne l’obtention de la reconnaissance pour les syndicats »
Nous sommes ici sur le sol américain, et les Etats-Unis sont la première économie du monde. Mais ils sont aussi le pire pays en ce qui concerne l’obtention de la reconnaissance des syndicats. Ils sont le pire pays de l’hémisphère occidental en ce qui concerne l’accès aux travailleurs, la discussion avec eux, l’occasion équitable de leur dire « voudriez-vous être représentés par des syndicats ? ». Depuis des années et des années, c’est le modèle qui prévaut, quels que soient les gouvernements et les orientations politiques au pouvoir.
C’est pourquoi si vous regardez ce que cela a signifié dans ce pays, vous verrez qu’il existe une corrélation claire : plus on affaiblit le mouvement syndical et on éloigne les travailleurs des négociations collectives, plus on étrangle et on étouffe leur voix sur le lieu de travail, plus les inégalités économiques dans le pays se creusent.
Je pourrais vous citer d’innombrables cas : le plus grand employeur mondial du secteur public, Walmart, ne compte pas un seul membre syndiqué dans ce pays, pas une seule convention collective. Et il s’agit là d’un modèle souvent admiré par la communauté des entreprises.
31.57 Il existe des entreprises qui présentent de bons résultats dans le pays où elles ont leur siège, des entreprises allemandes telles que T-Mobile ; dès qu’elles franchissent l’Atlantique pour venir ici, elles emploient les méthodes d’intimidation les plus brutales pour empêcher leurs travailleurs de se syndiquer.
« Prosegur… se comporte d’une manière anti-syndicale brutale alors qu’elle devrait donner l’exemple »
Nous avons avec nous le ministre du Travail de Colombie, qui sait que dans le passé, le pays le plus difficile pour un leader syndical, c’était la Colombie. Des milliers de travailleurs y ont perdu la vie. Or, il existe une entreprise espagnole appelé Prosegur qui se comporte d’une manière anti-syndicale brutale alors qu’elle devrait donner l’exemple. Donc, je vous dis simplement à vous tous que nous avons le sentiment de livrer une bataille, et que dans nos actions au quotidien, il est extrêmement difficile de faire notre travail.
S’il n’y a qu’un message que je puisse vous transmettre, c’est que notre société est devenue moins démocratique, plus inégale, avec ce type de mesures, en particulier dans le secteur privé et avec le soutien des gouvernements qui concluent des accords commerciaux douteux. Ce n’est pas avec le genre d’obstacles auxquels nous nous heurtons aujourd’hui que nous réussirons à redonner espoir à l’humanité ni à lui offrir de nouvelles opportunités économiques.
Mais je viens du pays de Galles, et nous sommes un peuple optimiste. C’est donc avec plaisir que j’affirme que des changements sont dans l’air. Jour après jour, nous disons merci à l’OIT pour sa présence ! Et merci à ceux qui ont eu le courage et la vision politique de la créer. C’est notre Conseil de sécurité à nous, c’est notre mission de maintien de la paix, c’est notre refuge, c’est notre abri. Il est important que les déclarations fondamentales de l’OIT soient connues et appliquées par les entreprises et les gouvernements. Je me demande, dans ce climat actuel, s’il nous serait possible aujourd’hui de réinventer l’OIT telle qu’elle existe. Mais Dieu merci, elle existe, et je tiens à remercier tout le personnel du BIT pour l’extraordinaire travail qu’il fournit. Merci – vous apportez de l’espoir et de la consolation à de très nombreux travailleurs.
« (L’application des Principes directeurs de l’ONU représente) un changement énorme et une occasion formidable de nettoyer notre planète afin d’y faire respecter les droits de l’Homme »
Nous commençons maintenant à voir apparaître, avec les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, la notion de diligence requise, l’obligation faite aux gouvernements du monde entier de produire des plans d’action nationaux, l’obligation faite à toutes les entreprises de notre planète de prendre des mesures pour respecter les droits de l’Homme de leurs employés, avec des voies de recours. Cela constitue un changement énorme et une occasion formidable de nettoyer notre planète afin d’y faire respecter les droits de l’Homme. Nous aimons les nouvelles lignes directrices de l’OCDE et leurs points de contact. Désormais, les gouvernements assument leurs responsabilités sérieusement en impliquant les partenaires sociaux, en instaurant un dialogue social, en essayant d’améliorer leur comportement. La communauté des investisseurs cherche à instaurer un comportement commercial responsable. Et il existe le Pacte mondial de l’ONU qui rassemble un nombre important d’entreprises, mais a encore beaucoup à faire pour appliquer ces principes de base.
« …L’heure est grave :… le niveau d’inégalité constitue une menace pour la subsistance économique, une menace pour les entreprises… »
Si nous n’avons pas de syndicats forts et que nous ne pouvons pas recruter les travailleurs au sein d’organisations, si nous ne pouvons pas négocier, si nous ne pouvons pas prendre des mesures revendicatives en fonction des besoins, alors, notre aptitude à apporter la prospérité et à améliorer les conditions des hommes et des femmes sur notre planète sera remise en question. En fait, elle deviendra pratiquement impossible. L’heure est grave : les chiffres des inégalités doivent être pris au sérieux, ils constituent une menace pour la subsistance économique, une menace pour les entreprises, une menace pour les communautés, une menace pour votre voisin, une menace pour votre propre bien-être.
Nous avons le temps de corriger les choses, et c’est pourquoi ces objectifs de développement durable et le bon travail que vous faites ici nous donnent une chance de progresser, de demander des comptes et de veiller à ce que les employés de Walmart, de Prosegur ou de T-Mobile ou de toute autre entreprise qui veulent adhérer à un syndicat puissent le faire sans crainte.