Edipresse et Hersant: L’heure du dégel
Faut-il donner des exemples de ce dégel des relations ? Il n’y a pas si longtemps, Tibère Adler, aujourd’hui directeur général d’Edipresse, jurait de ne jamais s’asseoir à la même table que Jacques Richard, de Hersant – aujourd’hui le même Richard parle en toute décontraction de ses projets de coopération avec Eric Hoesli, cadre chez Edipresse. En juin les journaux régionaux romands, qu’ils fassent partie d’Edipresse ou d’Hersant ou soient (encore) indépendants, ont étroitement collaboré pour couvrir l’Euro. De même Swisster, le magazine en ligne d’Edipresse en anglais, bénéficie d’un substantiel apport financier et rédactionnel de Hersant. Par ailleurs, une proposition est sur la table pour la distribution matinale du journal de Hersant à Nyon et pour celle des deux quotidiens d’Edipresse à Genève et Lausanne. La construction d’une nouvelle imprimerie commune est même à l’ordre du jour. Enfin, Edipresse souhaite se défaire d’une partie de son paquet d’actions du quotidien valaisan Le Nouvelliste. Les actions iraient à Hersant.
Aucun changement de stratégie ?
Théo Bouchat, directeur d’Edipresse Suisse, nie tout changement de stratégie de la part de son groupe, parlant de l’approche désormais plus conciliante du Français Hersant. «Dans le passé, Hersant recherchait la confrontation, tandis qu’aujourd’hui il se présente comme un partenaire ». En gage de bonne volonté, Hersant a injecté 350000 francs sur trois ans dans Swisster, projet en ligne d’Edipresse. De son côté, Edipresse a fait un pas vers Hersant à propos d’une nouvelle imprimerie. Il est question en effet de bâtir une imprimerie commune, en collaboration avec l’imprimerie actuelle d’Edipresse près de Lausanne. Les capacités prévues dans le cadre de cet ambitieux projet suffiraient aux besoins des deux éditeurs, voire pour les journaux de Gassmann, l’éditeur biennois lié à Hersant qui publie le Journal du Jura et le Bieler Tagblatt, et pour le quotidien valaisan Le Nouvelliste. Jacques Richard confirme ce scénario au nom de Hersant: «Nous examinons deux projets. L’un porte sur une nouvelle imprimerie pour nos journaux et ceux de Gassmann, l’autre concerne une imprimerie commune avec notre partenaire biennois ainsi qu’Edipresse et les Valaisans. » Le plus petit des deux projets serait toutefois plus avancé.
lmprimerie : un cheval de Troie
Or l’imprimerie est un cheval de Troie: au cours des prochaines années, divers journaux régionaux romands devront investir d’importantes sommes dans la modernisation de leur imprimerie, ou se décider pour les imprimeries d’Edipresse ou Hersant. Tel est notamment le cas du Nouvelliste, qui a longtemps constitué une pomme de discorde entre Hersant et Edipresse. Mais Edipresse est désormais prêt à vendre une partie de son paquet d’actions du Nouvelliste. «A qui en voudra», affirme Théo Bouchat. Mais toutefois de préférence à Hersant: «Au vu du conflit qui oppose les actionnaires valaisans, Hersant offre sans doute une garantie de professionnalisme.» Bouchat fait ici allusion à la guerre que se livrent divers groupes d’actionnaires pour prendre le contrôle du journal, y exercer leur influence et en définir la ligne politique, et à laquelle les deux géants participaient activement jusqu’ici en coulisse pour se tendre des pièges.
« Si Edipresse nous fait une offre, nous aurons une oreille ouverte», répond Richard au discours flatteur tenu à Lausanne. Si les révélations de La Liberté devaient se confirmer, à savoir que Hersant aurait déjà pris une participation dans le quotidien valaisan à travers un homme de paille, le marché entre Edipresse et Hersant ferait de ce dernier l’heureux propriétaire d’un substantiel paquet d’actions. A condition bien sûr que les actionnaires valaisans y consentent. Le cas échéant, il en serait fini de l’indépendance du journal.
Et ce n’est pas tout. Les six titres du pool Romandie Combi (Roc)* ont récemment mandaté une étude portant sur le traitement en commun, par les six journaux, des rubriques Suisse, Etranger, Sports et Economie. Leur contenu serait livré soit par les rédactions actuelles, qui se partageraient la tâche, soit par une rédaction centrale commune, soit encore par un tiers, en l’occurrence Edipresse. Le projet est provisoirement bloqué, suite notamment à la résistance de La Liberté. Or là aussi de profonds changements sont à l’ordre du jour. Car le quotidien fribourgeois appartient à une association, la congrégation des Soeurs de Saint-Paul, qui souhaite se retirer du secteur de l’édition. Par conséquent, le groupe sera transformé au début de 2009 en société anonyme, et son directeur Albert Noth est à la recherche de partenaires pour la future holding.
Ce n’est que le début
Cette interdépendance croissante mine-t-elle la diversité du paysage médiatique? Les journaux régionaux d’Edipresse et les feuilles de Romandie Combi produisent déjà plusieurs suppléments communs par an. Cette collaboration pourrait encore s’étendre – c’est du moins ce que souhaite Jacques Richard, «moyennant l’accord de toutes les parties » – et porter sur de nouveaux projets. Dans tous les cas, Hersant paraît être sur le point, pour la première fois depuis son arrivée sur le marché romand en 2001, de sortir du ghetto de ses acquisitions marginales en Suisse. Les contacts sont pragmatiques et noués au niveau opérationnel, souligne Théo Bouchat: «Nous n’avons aucun contact au sommet. » Mais si l’éditeur Philippe Hersant souhaitait parler à l’éditeur Pierre Lamunière, « il sait où nous trouver».
Helen Brügger
Traduction d’un article paru dans Klartext, N° 4, 2008, avant l’annonce du plan de restructuration chez Edipresse.
* ROMANDIE COMBI
Les journaux participant au pool Romandie Combi (Roc) sont: Le Nouvelliste, La
Liberté, Le Quotidien Jurassien, le Journal du Jura, dont la rédaction est liée à Hersant, ainsi que L’Impartial et L’Express, deux titres appartenant à Hersant.
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